Turquie : Erdogan au pouvoir, la démocratie au tapis ?
- INFO MONDE
- 2 juil. 2018
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Dernière mise à jour : 5 juil. 2018

L’avenir de la Turquie interroge autant qu’il fascine, en Europe et ailleurs. Un avenir qui s’est dessiné ces derniers jours à l’occasion des élections présidentielles et législatives, qui prirent place la semaine dernière en Turquie. Des élections décisives pour l’avenir du pays et de son leader : Recep Tayyip Erdogan. Le Président Turc, qui côtoie les plus hautes sphères du pouvoir depuis 15 ans maintenant, est un habitué des polémiques. Critiqué de toutes parts pendant la campagne, c’est néanmoins sans grande surprise qu’il remportera, haut la main, les élections présidentielles. Avec un score d’environ 52,5% des voix dès le premier tour, Erdogan le prouve à nouveau, il est l’homme fort en Turquie. Un nouveau mandat qui pourtant, s’inscrit dans un contexte inédit du côté de l’Anatolie en raison du passage du système parlementaire en vigueur à un régime hyper-présidentiel. Un nouveau régime qui suscite d’ailleurs plusieurs interrogations. Le terme démocratie peut-il encore être employé pour désigner la Turquie ? Quels sont les véritables enjeux de ces élections ? Quelles conséquences pouvons nous attendre d’un tel système ? On fait le point.
Recep Tayyip Erdogan a donc été réélu à la tête de la Turquie avec plus de 52,5% des voix dès le premier tour, soit la majorité absolue. Son principal opposant, le social-démocrate Muharrem İnce, a quant à lui récolté 30,64% des voix et arrive en deuxième position. Pour ce qui est du taux de participation, ce dernier tournerait selon plusieurs rapports aux alentours de 88%. En comptant la diaspora Turque, c’est plus de 59 millions d’électeurs qui ont voté ces derniers jours. Un chiffre bien important qui donne une toute autre dimension à des élections, décidément au centre de toutes les attentions.
Les enjeux
La Turquie a connu le débat. Erdogan a connu l’opposition, un fait suffisamment rare pour être souligné. Une opposition par ailleurs particulièrement remontée suite aux décisions relatives au changement de système gouvernemental, voulu par le Président Turc lui même. Nous y reviendrons. Une double élection qui était donc l’occasion pour l’opposition de manifester leurs désaccords avec Erdogan.
La situation économique du pays fut d’abord pointée du doigt en raison de la crise aiguë que traverse aujourd’hui la Turquie. Une critique globale qui se verra peu à peu accompagnée d’attaques directes envers Erdogan. Des critiques notamment dues aux directives arbitraires qui suivirent le putsch raté de l’été 2016, où Erdogan est accusé de “dérives autocratiques”. Rappelons qu’à la suite de cet événement une réelle purge avait eu lieu avec les arrestations de bon nombres de militaires, journalistes ou simplement de citoyens. Des arrestations massives qui alimentèrent les accusation de dictature à l’égard du gouvernement d’Erdogan. C’est donc avec une campagne rudement menée par son candidat Muharrem İnce que l’opposition est arrivée pleine d’espoir à cette élection. Elle repartira première perdante avec 30,64% des voix.
L’enjeu de ces élections était de taille pour Erdogan. Il avait en effet beaucoup à perdre. Mais aussi beaucoup à gagner. Après son référendum controversé début 2017 sur son nouveau régime présidentiel, Erdogan était certain de voir son pouvoir s’accroître inexorablement en cas de victoire aux élections. C’était également l’occasion pour lui de faire “mordre la poussière” à son opposition qui ne cessait de gagner en influence durant la campagne. Erdogan et son parti de l’AKP, le parti de la justice et du développement, avaient rendez-vous avec l'histoire turque à l'occasion de cette double élection. Un rendez-vous qu'ils n'auraient manqué pour rien au monde.
Et les élections législatives dans tout ça ?
Le parti dirigé par Erdogan, l’AKP, a pour ces élections législatives, formé une coalition avec le parti MHP conservateur et ultra-nationaliste. Une coalition qui remportera cette élection avec la majorité absolue et plus de 53,6% des voix. Une double victoire donc pour Erdogan et son parti qui lui assure la main-mise sur les pouvoirs exécutifs et législatifs turcs au moins jusqu’en 2023. Lors de cette élection nous aurons assisté à la formation d’une coalition “anti-Erdogan” réunissant divers partis d’opposition dont le CHP. Cette coalition ambitieuse d'incarner une opposition solide face aux parti du Président Turc ne parviendra à récolter que 34% des voix. Qualifiés de “terroristes” par Erdogan il y a plusieurs mois, le parti prokurde de l’HDP a récolté 10% de suffrages lui permettant ainsi de siéger à l’Assemblée Nationale.
Des élections vraiment démocratiques ?
Suite à son référendum controversé de l’année précédente et sa victoire aux élections présidentielles et législatives, Recep Tayyip Erdogan a vu ses pouvoirs renforcés. Concrètement ce nouveau régime hyper-présidentiel supprime la fonction de Premier Ministre et offre le pouvoir au Président de gouverner par décret. De “nouveaux pouvoirs” qui interrogent puisque la Turquie est censée être à ce jour une démocratie. Un pouvoir élargi qui ne manquera pas d’alimenter les critiques de l’opposition et de plusieurs observateurs étrangers sur le comportement “dictatorial” du Président Turc. Erdogan n’a jamais été aussi puissant. Une nouvelle ébauche de pouvoir qui inquiète. Notamment en Occident.
Cependant les citoyens turcs savaient pertinemment quels étaient les enjeux de leurs élections. Notamment au sujet de leur futur système hyper présidentielle. En se déplaçant à plus de 88% vers les urnes, le peuple votant a réitéré sa confiance en Recep Tayyip Erdogan. Un aspect qui ne manquera pas d’être souligné par le principal intéressé. Et ce bien avant les résultats définitifs, témoignant de la confiance ferme et inébranlable de l’homme d’état, plus que jamais conscient de sa propre puissance :
« la Turquie a donné une leçon de démocratie au monde »
Toutefois, l’opposition a mentionné plusieurs irrégularités “sérieuses” lors de cette élection. Plusieurs bureaux de vote auraient en effet fait état de nombreux bulletins non tamponnés ou non enregistrés. Le CHP, parti d’opposition, a même dénoncé des tentatives de fraude dans plusieurs bureaux de vote du sud-est du pays. Le parti ira même jusqu’à affirmer que Erdogan n’a pas récolté plus de 50% des voix, revendiquant ainsi l’organisation d’un second tour. Une accusation qui n'ira toutefois pas plus loin puisque le parti finira par avouer sa défaite.
Une victoire qui sera saluée par Vladimir Poutine et Viktor Orban, connus pour le soutien envers le Turc. Ils mettront en avant la “réussite démocratique” de Recep Tyyip Erdogan et la stabilité politique et économique dont va bénéficier la Turquie.
En Europe les Chefs d’Etats occidentaux resteront longtemps silencieux avant de féliciter le Président Turc pour sa réélection. Rappelons que les relations diplomatiques entre l’Union Européenne et la Turquie sont relativement tendues depuis le Putsch manqué de 2016.
Toutefois, le caractère démocratique des élections présidentielles et législatives interroge. Les nouveaux pouvoirs conférés à Erdogan ne correspondent pas, du moins en apparence, aux pouvoirs habituellement conférés à un chef d’état d’un régime démocratique. Néanmoins, il est encore bien trop tôt pour tirer des conclusions. L’avenir seul désormais pourra répondre aux problématiques posées par la réélection du Président Turc et peut-être, à terme, donner raison, ou non, aux détracteurs de celui qu’on surnomme aujourd’hui, le Sultan.

Crédit photos :
Photo de couverture : Le Monde
Graphique : Le Monde
Deuxième photo : Le Vif
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