Le Nicaragua, théâtre d'une répression sanglante
- INFO MONDE
- 29 juil. 2018
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 1 août 2018

Le 18 avril 2018 sonnera comme l’élèment déclencheur d’une escalade et d’une fracture profonde au Nicaragua. Ce petit pays d’Amérique Centrale est aujourd’hui le théâtre d’affrontements sanglants entre manifestants et forces gouvernementales. Plusieurs centaines de morts et plus d’un millier de blessés sont déjà recensés. Cette situation sinistre fait suite aux répressions sanglantes des forces armées face aux manifestations fleurissantes du peuple nicaraguayen. Toutefois, si cette volonté de révolte découle de récentes mesures politiques de son gouvernement, le désir affiché de se soulever face à ce dernier est plus profond. Un gouvernement aux allures de dictature incarné par Daniel Ortega, le Président du Nicaragua. Quelle est donc la source de cette profonde crise au Nicaragua ? Quels liens peuvent-être établis entre la présidence Ortega et ce climat social sulfureux ? INFO MONDE vous plonge au cœur du sujet pour mieux comprendre les tensions qui sévissent au Nicaragua.
Un régime autoritaire et népotique
Le Nicaragua est dirigé depuis vingt-deux ans maintenant par Daniel Ortega, un ancien révolutionnaire arrivé au pouvoir après avoir renversé le régime de la famille Somoza à l’aube des années 80. Un régime connu pour ses airs de dictature et ses manoeuvres de corruption qui dirigeait le pays sans prendre en compte l’avis de qui que ce soit. Le guérillero du Front Sandinista de Libération Nationale (FSLN) dont faisait partie Daniel Ortega, avait alors renversé le régime au nom du pluralisme politique et de la lutte contre la corruption. Si à l’époque Ortega bénéficiait d’une certaine légitimité pour être nommé à la tête du pays de par la révolution qu’il avait mené, ce n’est aujourd’hui plus le cas.
Depuis 2007 et son retour au pouvoir, la présidence Ortega ne bénéficie plus des mêmes qualificatifs comme ce fut le cas dans les années 80. Aujourd’hui qualifié de régime autoritaire par de nombreux observateurs, il semblerait même que Daniel Ortega soit tombé dans le népotisme. Plusieurs faits permettent aujourd’hui de l’attester. Les abus de pouvoir et d’influence en faveur de sa famille seraient nombreux. Sa femme Rosario Murillo, vice-présidente de son parti FSLN et lui même auraient à ce jour la main mise sur la majeure partie des ressources du pays. Les institutions et administrations publiques seraient sous étroite surveillance, leur parti étant soumis à une stricte discipline partisane où tout désaccord est sanctionné d’exclusion. Mais le népotisme d’Ortega ne s’arrête pas la puisque la famille présidentielle aurait acheté tous les médias de télévisions et de radios du pays. La distribution des ressources économiques est également contrôlée par la présidence Ortega du fait de la dépendances des grands groupes économiques au pouvoir. Enfin, toute opposition est interdite.
Beaucoup s’accordent désormais à le dire : la présidence Ortega n’est ni plus ni moins qu’un régime dictatorial avec à sa tête un dirigeant devenu l’incarnation du régime qu’il avait renversé une vingtaine d’années plus tôt.

Une réforme pour faire déborder le vase
Le 18 avril 2018, le gouvernement annonce une nouvelle réforme des retraites. Cette réforme prévoit alors une hausse des cotisations ainsi qu'une baisse des pensions perçues par les retraités nicaraguayens. Une réforme non sans conséquences pour la population qui va peu à peu voir son pouvoir d’achat fortement impacté. Précisons que cette baisse du pouvoir d’achat s’inscrit un peu plus sur la liste des difficultés économiques des plus modestes. Le Nicaragua étant considéré comme un pays pauvre, 4 habitants sur 10 vivent aujourd’hui avec moins de 2€ par jour. Une réforme inacceptable pour le peuple nicaraguayen qui lutte déjà suffisamment contre la pauvreté au quotidien.
À la liste des critiques vis à vis de la présidence Ortega s’ajoutent aussi les réformes économiques invivables pour son peuple. Cela témoigne un peu plus du fossé profond entre un peuple luttant avec le peu de moyens financiers dont ils disposent, et un président déconnecté des problèmes populaires. Un premier mouvement de contestation va alors voir le jour. À Managua, la capitale du Nicaragua, c’est un cortège d’étudiants qui se forme. Ce mouvement de contestation pacifique visait à afficher le mécontentement populaire envers la réforme des retraites. Un cortège qui sera cependant rapidement interrompu par les forces de l’ordre. Les étudiants dénonceront par la suite les violences policières et la présence de paramilitaires eux aussi armés.
L’écho de la répression fortement abusive à Managua s’est répandu comme une traînée de poudre à travers tout le pays. C’est alors de multiples manifestations qui fleuriront dans toutes les grandes villes de ce pays de plus de 6 millions d’habitants. À tel point qu'Ortega sera lui-même surpris par l’ampleur de la contestation. Rappelons que jusqu’à présent il avait personnellement pris toutes les mesures autoritaires qui s’imposaient pour éviter et annihiler ce type de contestation massif.

Une répression par le sang
La révolte ne faiblit pas au Nicaragua. Au contraire, la situation empire. Manifestations massives sont à présent synonymes de répressions fortes. Pour répondre aux manifestations menés par des milliers de civils et aux pillages qui en découlent, Ortega va répondre par le sang. Des tireurs d’élites sur les toits d’immeubles et des milliers de paramilitaires armés mobilisés vont rapidement être sollicités par le régime pour faire face aux milliers de manifestants armés eux de ce qu’ils ont sous la main. On assiste à des scènes de guerre civile sanglantes. Bon nombre de manifestants sont tués ou blessés. Ces scènes ont lieux dans toutes les grandes villes du pays : Managua, Masaya, Granada, Bluefields.
Sur place les deux camps s’opposent sans relâche depuis plus de trois mois maintenant. Si les manifestants, très nombreux et armés de ce qu’ils trouvent (lances-pierre, mortiers artisanaux), ne faiblissent pas, la répression excessive organisée par le gouvernement interroge. Car oui, ce sont des moyens hors du commun qui sont mis en oeuvre pour contenir la révolte. Des policiers, paramilitaires, narcotrafiquants, entraînés à l’exercice de la violence extrême, répandent la terreur à travers les rues. Toute la puissance militaire de l’État est permise. Quel est donc le but d’Ortega ? Beaucoup d’observateurs se questionnent sur les raisons d’une répression si sanglante. Ortega se justifie lui en qualifiant les manifestants de “délinquants”, “agitateurs”, “émissaires de la droite putschiste”, et certifie que les moyens mis en oeuvre ne le sont que pour répondre à cette "tentative de coup d’État”.
Si un travail de médiation a été organisé, il n’a pas été concluant. Le dialogue semble pour le moment impossible entre deux camps que tout oppose. D’un côté les manifestants qui réclament le départ du couple présidentiel du pouvoir, la fin de la répression, la démocratisation des institutions et une justice pour les victimes. De l’autre le gouvernement qui se dit répondre face à la menace de coup d’État. Ainsi l’organisation d’élections anticipées ont été proposées. C’était sans compter sur la fermeté d’Ortega qui affirme qu’il ne démissionnera pas. Rappelons que son mandat est censé s’achever en 2022.
Probablement en signe d’apaisement, Daniel Ortega finira tout de même par retirer sa réforme des retraites quelques jours après son adoption par décret présidentiel. Un acte pouvant être vu comme un appel au calme mais qui n’aura cependant que très peu de conséquences auprès du peuple. La confiance de ce dernier envers son gouvernement est belle et bien rompue, et ce n’est pas la suppression d’une réforme qui pourra y changer quelque chose.
Aujourd’hui il est difficile de prédire l’issue de ces affrontements sanglants. Ni combien de temps ils vont encore durer. Selon plusieurs observateurs, l’issue la plus probable qui permettrait de rétablir le calme et d’apaiser les deux camps, serait la démission d’Ortega et l’organisation d’élections anticipées. Cependant comme énoncé précédemment cela parait pour le moment improbable. Avec le temps, ces affrontements ont eu de nouvelles conséquences puisque ce sont à présent des milliers de nicaraguayens qui immigrent chaque semaine au Costa Rica. Ce pays limitrophe du Nicaragua refuse de parler de crise migratoire mais a dû mettre en place des centres d’accueils pour ces milliers d’immigrés.
Rappelons qu’à ce jour ce sont plus de 300 nicaraguayens qui ont perdu la vie et plus de 2000 qui ont été blessés lors de ces affrontements.
Crédits Photos :
Photo de couverture : AFP
Première photo : Le Monde
Deuxième photo : L'Express
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