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Liban : État des lieux de la contestation

  • Photo du rédacteur: INFO MONDE
    INFO MONDE
  • 18 nov. 2019
  • 5 min de lecture


Le Liban, petit pays du Moyen-Orient situé entre la Syrie et Israël, est sujet à une importante contestation populaire. Si aujourd’hui la cible de ces contestations pacifiques semble être le gouvernement libanais, les facteurs pourraient ne pas être essentiellement politiques. Mais alors que revendiquent aujourd’hui les citoyens libanais ? Quels sont ses éléments déclencheurs qui les poussent aujourd’hui à se réunir dans les rues ? Quel rôle joue le Hezbollah libanais dans cette crise ? Éléments de réponse.


Une situation économique critique


Ce dimanche 20 octobre a été le théâtre d’une manifestation pacifique réunissant des citoyens de toutes opinions religieuses. Fait assez rare pour être signalé puisque ce sont des libanais de confession musulmane sunnites et chiites, mais aussi chrétienne et druze qui se sont réunis. Force est de constater que le motif d’indignation fut tel qu’il contraint les communautés libanaises à se réunir. Mais alors quel est-il ? Pourquoi touche-t-il autant de communautés ?


Remontons à la source de ce mouvement où le 17 octobre une taxe mit le feu aux poudres. L’annonce du gouvernement d’imposer une taxe sur les appels WhatsApp fut la contrainte de trop pour un peuple déjà soumis à des mesures économiques particulièrement restrictives. Ce marasme économique qui sévit déjà depuis plusieurs années au Liban mérite d’être analysé afin de comprendre le sens des manifestations. En 2018 la croissance du pays du Cèdre a enregistré une augmentation d’à peine 0,2% selon le Fonds Monétaire International (FMI). Les taux d’intérêt demeurent particulièrement élevés avec jusqu’à 12% pour un dépôt en livres libanaises et 8% pour ceux en dollars. La dette de L’État libanais est également l’une des plus élevées au monde avec un endettement de plus de 150% du PIB en 2018. Si l’on s’intéresse au secteur de l’immobilier qui représente l’un des piliers de l’économie libanaise, on remarque qu’il traverse lui aussi une conjoncture critique.


Le spectre d’une crise financière majeure est réel dans l’esprit des libanais. Précisons que l’Agence internationale Fitch, évaluant les pays en fonction de leur situation financière et leur solvabilité, a délivré un CCC au pays du Cèdre. Le plus grand motif d’inquiétude des citoyens reste la raréfaction du dollar dans le pays. Ce manque de liquidité engendre un impact direct sur les importations de denrées vitales tel le blé, les médicaments et le carburant. Les retraits en espèces auprès de distributeurs automatiques sont devenus quasi impossibles. Cette multitude de contraintes économiques assomme les citoyens libanais depuis de longues années et les contraignent aujourd’hui à manifester leur épuisement.


Manifestation à Tyr dans le sud-ouest du pays

Le gouvernement libanais accusé de corruption


Le responsable désigné par les manifestants de l’économie critique du pays et ses conséquences n’est autre que le gouvernement. La masse populaire lui reproche une corruption persistante dans les plus hautes sphères de la part de dirigeants obstinément accrochés au pouvoir. L’annulation de la taxe sur les appels WhatsApp en réaction à la formation de la contestation n’a nullement apaisé les choses. Il semblerait dorénavant que la détermination soit devenue trop importante et les motifs trop nombreux pour assister à une accalmie. Cette foule infatigable réclame malgré les annonces une refonte en profondeur du système. Diminution drastique des taxes, rénovations voire restructuration des infrastructures vieillissantes, privant parfois les habitants d’eau et d’électricité, et surtout démission de la totalité de la classe politique au pouvoir.


A Beyrouth, le gouvernement libanais semble dépassé face à ce mouvement d’une ampleur nullement anticipée. En réaction le gouvernement Hariri décida d’un plan large de mesure financière et sociale en guise d’apaisement. Parmi celles-ci nous retrouvons :


- Baisse de 50% des salaires des anciens présidents, ministres et députés


- Suppression de certains ministères


- Réduction du déficit de l’État à 0,63 % du PIB en 2020 (contre 7,59 % dans le budget 2019)


- Adoption avant la fin 2019 d’un nouveau régime de retraite et de protection sociale.


- Allocation de 20 milliards de livres supplémentaires (11,9 millions d’euros) au programme de soutien aux ménages les plus démunis.


Pour affronter les graves accusations de corruption, le gouvernement ne pouvait rester de marbre. Le nouveau mot d’ordre gouvernemental devient à présent la lutte anti-corruption avec des mesures visant à réformer le système telles :

- Création d’une Autorité nationale de lutte contre la corruption.


- Installation de scanners pour traquer la contrebande et renforcement des sanctions imposées aux contrevenants.


- Élaboration d’un projet de loi sur la récupération de l’argent public volé.


Malgré l’ensemble de ces mesures, les foules ne faiblissent pas et réclament toujours le changement de la classe politique. Le 23 octobre après de longues semaines de contestation, Saad Hariri, le premier ministre libanais prend la parole et annonce sa démission du gouvernement. Il justifie avoir pris sa décision :


« Face à la volonté de nombreux Libanais qui sont descendus dans la rue pour réclamer le changement »

Si en apparence cette décision pourrait être perçue comme une onde de choc, il faut préciser que cette abdication n’engendra aucune élection anticipée. Dans la constitution libanaise, pour le cas où le président de la république accepte la démission de son premier ministre, il en revient de sa responsabilité de désigner un nouveau premier ministre chargé de constituer un gouvernement.


La refonte du paysage gouvernemental n’ira donc pas de pair avec cette démission.


Saad Hariri - premier ministre libanais - annonçant sa démission

Le Hezbollah libanais face à la contestation


Depuis de nombreuses années, le Hezbollah possède une influence puissante au Liban. Cette milice chiite surarmée financée par l’Iran entretient aujourd’hui une proximité prépondérante avec le gouvernement libanais. A tel point que le chef de la milice, Hassan Nasrallah, pourrait se munir d’une plus grande influence au pays du Cèdre que le président Michel Aoun lui-même.


Le Hezbollah ne pouvait donc pas rester dans l’ombre face à ce mouvement de contestation massif. Il fait donc aujourd’hui face à la menace d’un remplacement complet du gouvernement avec lequel il a noué de très fortes relations depuis son arrivée au pouvoir. Il n’a donc pas fallu patienter longtemps avant que le chef de la milice s’exprime officiellement. Ce vendredi 25 octobre, Nasrallah a tenu un discours plein d’autorité mêlant menaces et détermination. En s’adressant directement à la foule de manifestants, il menace les manifestants du spectre de guerre civile qui plane au-dessus de ce mouvement. Car là est la crainte suprême du Hezbollah, une guerre civile qui déchirerait le pays. Rappelons que le Hezbollah est une milice surarmée capable de tenir tête à l’armée israélienne comme ce fut le cas lors de la guerre de 2006. Si une guerre civile devait voir le jour, difficile d’imaginer comment cela pourrait se terminer autrement qu’en carnage...


Le chef de la milice s’est aussi directement adressé aux détracteurs du Hezbollah qui réclamerait le départ de cette organisation chiite dans le même temps que le gouvernement.



Hassan Nasrallah - chef du Hezbollah libanais - s'adressant à la foule

Finalement ce 30 octobre dernier, le président Michel Aoun annonce la démission de son gouvernement qui va de fait apaiser le mouvement contestataire. C’est à présent une période d’incertitude qui souffle sur le Liban, tant sur le plan politique que social.


En somme, au sortir de longues, pénibles et inflammables semaines de contestation le Liban semble se diriger vers le dialogue. Le ras le bol collectif des citoyens libanais étouffés sous le poids d’un marasme économique semble avoir été entendu par un gouvernement dépassé par la situation. Toutefois il est encore trop tôt pour affirmer qu’on assiste au dénouement ce cette crise qui dure depuis bientôt un mois. Dans les faits les contestataires sont encore nombreux, le nouveau gouvernement n’est pas formé et s’accompagne déjà de son lot d’incertitudes. Quid du Hezbollah dont l’attitude hostile à l’égard des manifestants n’est plus à prouver. Leur implication dans cette crise pourrait être promise à évoluer. L’avenir, seul, sera en mesure de nous éclairer sur les aboutissants de cette situation.



Crédit photos :
Photo de couverture : Le Monde
Première photo : Reuters
Deuxième photo : AFP
Troisième photo : AFP

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