La loi anti fake news suscite (déjà) la polémique
- INFO MONDE
- 11 juin 2018
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Depuis plusieurs jours, les débats houleux liés à l’approbation ou non de la loi anti fake news reviennent avec insistance dans l’actualité nationale. Présentée au début du mois de janvier par Emmanuel Macron, elle devait apporter une solution aux problématiques posées par les nouvelles dérives de l’information. Une nouvelle législation qui a pourtant recueilli un certain nombre de réactions négatives, que ce soit au sein de la classe politique, dans les médias et même dans la société en général. Car si tous s’accordent à soutenir l’idée qu’il faut combattre les fausses informations, beaucoup voient en ce nouveau projet de loi une démarche inutile et dangereuse. Alors, cette nouvelle législation est-elle vraiment utile ? Les craintes des journalistes de se voir censurés sont-elles justifiées ? Le gouvernement Macron est-il en train d’imposer une police de la pensée ? Cette semaine, INFO MONDE se propose de dessiner les contours de ce projet de loi, tout juste évoqué et déjà si contesté.
À peine présentée et déjà qualifiée de loi liberticide par Marine Le Pen, de police de la pensée par Christian Jacob, Président du groupe LR à l’Assemblée Nationale ou encore de grossière tentative de contrôle de l’information par Jean-Luc Mélenchon, la nouvelle loi anti fake news n’en finit plus de faire réagir. Rarement un projet de loi n’aura vu autant de détracteurs rassemblés contre lui. À gauche, comme à droite, en passant par les extrêmes des deux bords, tout le monde semble se lever contre ce nouveau projet de régulation de l’information. Aussi, on s’interroge. On reste interloqués face à un tel tollé. Qu’y a-t-il donc dans cette loi de si dérangeant ? On a essayé d’en savoir plus.
Que dit la loi anti fake news ?
Les fausses informations sont aussi vieilles que la politique elle-même. La vérité a de tous temps été une notion complexe aisément manipulable, enjolivée ou enlaidie selon les envies. Et ce n’est pas Emmanuel Macron qui dira le contraire. Accusé de posséder un compte offshore aux Bahamas, suspecté d’avoir été soutenu par l’Arabie Saoudite pendant la campagne présidentielle ou encore reproché de se laver les mains après avoir serré celles des ouvriers, le chef de l’état est devenu coutumier de ce genre de rumeurs. Des accusations qui peuvent paraître futiles tant elles sont habituelles en politique. Seulement, et c’est bien ça le problème, elles prennent une toute autre dimension quand elles interviennent dans un contexte démocratique. Comme des élections par exemple. Apparues entre le premier et le deuxième tour des élections présidentielles de 2017, ces rumeurs auraient pu jouer un rôle dans le scrutin. Près d’un an après son élection, Emmanuel Macron n’a visiblement rien oublié.
Élaboré en coulisses depuis plusieurs mois, le texte veut permettre à la justice de faire cesser en référé la diffusion de fausses informations durant les périodes pré-électorales et électorales pour des scrutins nationaux (à compter de la date de publication du décret convoquant les électeurs). L’arrivée de nouveaux outils pour permettre de lutter contre les fausses informations en période électorale est aussi prévue. En amont, il sera possible d’imposer aux plateformes de diffusion des informations (sont concernés les moteurs de recherche, les réseaux sociaux ou la télévision) des obligations de transparence renforcées. L’idée étant de permettre aux autorités publiques de détecter d’éventuelles campagnes de déstabilisation des institutions par la diffusion de fausses informations. Il sera également possible pour les internautes de connaître l’annonceur des contenus sponsorisés sur les réseaux ainsi que la somme versée en ce sens. Une façon d’en savoir plus sur les raisons et les motivations des annonceurs, notamment en période électorale. L’idée étant, une fois encore, d’assurer la transparence de tous ceux qui, de près ou de loin, pourraient avoir un impact sur le scrutin.
Autre nouveauté, le texte prévoit de créer un dispositif qui permettrait d’introduire une nouvelle action en référé devant le juge civil. Ce dernier se verrait confié le droit de prononcer le retrait ou le blocage de contenu qui contiendrait des fake news. Statuant au plus vite, le juge en référé disposerait alors de 48 heures pour donner son verdict. S’en suivront potentiellement le déréférencement du site, le retrait du contenu en cause ainsi que l’interdiction de sa remise en ligne voire même le blocage de l’accès au site internet en question. Des mesures qui seraient, toujours selon le texte, librement appréciées par le juge sous réserve de leur adéquation au regard de la liberté d’expression. L’objectif étant évidemment d’enrayer au plus vite toute information pouvant polluer voire paralyser le débat politique.
Enfin, le CSA (Conseil Supérieur de l’Audiovisuel) pourrait voir ses pouvoirs renforcés. Le texte de loi prévoit que ce dernier pourra dorénavant empêcher une chaîne contrôlée par un État étranger ou placée sous influence de diffuser de fausses informations en période électorale. L’autorité de régulation pourra en suspendre la diffusion pendant un mois voire purement et simplement rompre sa convention de diffusion.
Un nouvel arsenal législatif qui devrait compléter le système de régulation actuel et surtout apporter une solution à la problématique posée par les fausses informations. Et pourtant. Les réactions qui ont découlé ces derniers jours laissent penser qu’en dépit de toutes ses bonnes intentions, ce projet de loi semble tout de même laisser transparaître un certain nombre de failles.
Une loi inutile et dangereuse ?
C’est en tout cas ce qu’affirme l’opposition rassemblée contre le projet. Selon eux, le texte proposé par la majorité LREM comporte plusieurs incohérences. D’abord, certains mettent en lumière la redondance dont le texte fait preuve avec la législation actuellement en vigueur. Plusieurs lois existent en effet, déjà, pour faire face aux informations mensongères. C’est le cas de la loi de 1881 sur la liberté de la presse et la loi de 2004 sur la confiance dans l’économie numérique. La loi de 2004 tout juste évoquée donnait déjà la possibilité pour un juge d’ordonner à tout hébergeur de prendre toutes les mesures propres à prévenir ou à faire cesser un dommage causé par un contenu illicite. Un argument largement mis en avant par les opposants au projet de loi qui voient en ce texte une nouvelle législation inutile et embarrassante. Dominique Reynié, professeur de sciences politiques à Sciences Po et directeur général de Fondapol (Fondation pour l’Innovation Politique) ne cache pas son interrogation :
Je reste étonné et sceptique quant à ce que ce texte peut apporter
“Le délit de fausse nouvelle existe déjà depuis la loi de 1881. Et il existe déjà une profession, les journalistes, dont le métier est précisément d’invalider les fausses nouvelles. Ce n’est pas à l’État de décider de ce qui est vrai ou faux”, continue l’ancien élu d’Occitanie qui semble ne voir en ce projet de loi qu’une loi en plus n’apportant pas vraiment de nouveauté à un arsenal législatif déjà bien suffisant. Autre problème mis en évidence par l’opposition au projet, et pas des moindres : la dangerosité apparente du projet pour la liberté d’expression. Si certains s’interrogent sur l’utilité de la loi, beaucoup s’alarment sur les conséquences potentielles de son application sur la liberté d’informer. C’est notamment le cas de l’association RSF (Reporters Sans Frontières) qui dénonce la définition de fausse information/fake news proposée par la rapporteure du projet, Naïma Moutchou, à savoir :
“Toute allégation ou imputation d’un fait inexacte ou trompeuse”
Selon RSF, cette définition méconnaît la logique du travail d’investigation propre au journalisme. Le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire, critique également le principe même de la définition de fausse nouvelle. Pour lui, l’idée que l’on se fait de la fausse information est souvent subjective et définir ce terme peut déboucher à des conséquences graves. Il estime aussi que ce n’est pas au juge de statuer sur l’exactitude d’une information, qui plus est en urgence. Une position qui sera en partie rejointe par le président et cofondateur de Mediapart, Edwy Plenel. Pour le journaliste, la dangerosité de la loi est avérée. Le pouvoir exécutif pourrait désormais statuer de la véracité d’une information et ainsi se mêler directement de nos libertés de dire et notre droit de savoir. Une inquiétude globalement ressentie dans les milieux de la presse, qui ne compte plus les journalistes inquiets par les menaces que cette loi ferait peser sur la liberté d’expression et la démocratie. L’universitaire et spécialiste des médias Patrick Eveno a fait part de son inquiétude dans un entretien accordé à La Tribune :
L’enfer est pavé de bonnes intentions. Avec une loi autorisant le retrait de contenu c’est la liberté d’expression qui est dans la balance
Car si une critique revient avec insistance parmi toutes celles déjà énumérées contre ce projet de loi c’est bien celle-là. Dans les hautes sphères médiatiques, on se demande comment l’État pourrait être légitime pour définir ce qu’est la vérité et interférer directement dans les contenus publiés sur Internet sans porter atteinte à la liberté d’expression et sans in fine installer un véritable climat de censure. Des réactions qui posent en tout cas le débat autour de l’avenir de ce projet de loi, dont le report a été officialisé il y a quelques jours.
Et pourtant.
Assommée par les critiques émanant de tous les bords de l’opposition, la loi anti fake news devait pourtant apporter une solution à bon nombre de problématiques posées par les nouvelles défaillances de l’information. En combattant la fausse information ainsi que son relais sur Internet, la loi anti fake news apporte une arme supplémentaire à la démocratie. Les récents événements politiques d’ampleur tels que le référendum sur le Brexit, les élections américaines, le débat autour de l’indépendance de la Catalogne et bien sûr les élections présidentielles françaises ont tous été pollués par des rumeurs, des fausses informations. À terme, ces dernières peuvent paralyser le débat politique voire dans certains cas faire vaciller la démocratie. Des conséquences pour le moins alarmantes qui doivent être combattues. En proposant de nouveaux outils qui pourraient enrayer à la source les flux de fake news qui pullulent sur les réseaux, le nouveau texte de loi pourrait apporter une première piste de réponse à la problématique posée par les dérives de l’information.
Autre point important, les pouvoirs donnés au CSA, qui désormais pourra mieux contrôler les flux d’information provenant directement de l’étranger, pourraient permettre de recentrer le débat politique, en particulier en contexte électoral. Les soupçons d’interférence de la Russie dans les dernières élections présidentielles américaines laissent entrevoir les menaces que pourraient incarner l’implication d’un État étranger en période électorale. En se protégeant juridiquement grâce à des outils dédiés à la lutte contre l’interférence étrangère, le débat politique pourrait être préservé.
Un projet de loi qui pourrait également jouer un rôle dans l’encadrement des réseaux sociaux et de certains moteurs de recherche. Facebook, Twitter et même Google ont longtemps été vus comme le renouveau tant attendu d’une démocratie qui s’essouffle. Leurs aptitudes et leurs fonctionnalités ont permis d’ouvrir le débat politique à la société civile, à n’importe qui. Une ouverture à la société civile qui a inéluctablement ouvert la voie aux défaillances, aux dérives et peu à peu, aux flux de rumeurs, de fausses informations. Tout part d’eux désormais. Ces géants du web semblent avoir gagné une influence considérable sur le débat politique. Au point de le polluer ? C’est toute la question et tout l’intérêt du nouveau texte sur la loi anti fake news : proposer des pistes de réflexion mais aussi d’action pour sauvegarder, autant que possible, l’intégrité de la démocratie.
Le projet de loi contre la manipulation de l’information n’en finit plus de faire parler de lui. Entre volonté vraisemblable de lutte contre la désinformation et défaillances apparentes prêtes à remettre en cause la position et la place du journaliste dans l’appareil démocratique, ce texte n’aura jamais autant rassemblé contre lui. Emmanuel Macron en est conscient, il ouvre un débat profond sur la déontologie du journaliste et la place que doit tenir l’information dans nos démocraties. Les flux d'information doivent-ils être contrôlés ? Est-il normal de vouloir l’apprivoiser ? Des questions auxquelles seul l’avenir pourra apporter des réponses.
Crédits photos :
Photo de couverture : Le Midi Libre
Première photo : Le JDD
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