Italie : L'alliance populiste qui fait trembler l'Europe
- INFO MONDE
- 25 juin 2018
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 26 août 2018

Depuis plusieurs semaines, tous les regards, que ce soit en France ou en Europe, semblent inexorablement tournés vers l’Italie. Fatalement, son nom revient avec insistance dans l’actualité internationale. Et pour cause, tout juste sortie d’une crise politique et institutionnelle sans précédent qui a vu l’arrivée au pouvoir de l’improbable alliance populiste entre le Mouvement 5 étoiles et la Ligue, l’Italie inquiète. Une ascension populiste pourtant loin d’être anodine. Car si la question migratoire apparaît comme l’une des causes majeures de cette si soudaine escalade, elle est pourtant loin d’être la seule. L’appauvrissement généralisé et les déficiences institutionnelles de la zone euro peuvent aussi justifier le revirement politique de l’autre côté des Alpes. Alors, faut-il s’inquiéter pour l’avenir politique de La Penisola ? Doit-on craindre des conséquences pour l’Europe ? Analyse.
L’Italie s’est tournée vers le populisme. Jusqu’alors sous l’égide d’une alternance gauche-droite à bout de souffle, les transalpins ont décidé, cette fois, de placer leurs espoirs en un exécutif inédit. Dirigé par Giuseppe Conte, juriste et illustre inconnu, le nouveau gouvernement en place prend les paris et rassemble deux mouvances politiques aux idéologies pourtant assez différentes : le Mouvement 5 étoiles et la Ligue. À leur tête, deux ovnis de la politique : Luigi Di Maio et Matteo Salvini. L’un connu pour ses idées radicalement anti-système, l’autre pour ses prises de position proches de l’extrême droite. Désormais à la tête de l’exécutif, ils viennent redessiner un paysage politique vieillissant en promettant un changement à base de volonté de renouvellement de la classe politique, d’euroscepticisme et de xénophobie à peine voilée. Aussi on s’interroge, on se demande ce qui a pu pousser l’Italie à changer, de cette façon, son habitude de vote.
On a essayé d’en savoir plus.
Les causes profondes de la crise italienne
L’Italie ne s’est pas tournée vers le populisme par hasard. Enlisée depuis trop longtemps dans une crise sociale, politique et économique sans précédent, elle a décidé, pour une fois, d’aller voir ailleurs. Car si le recours populiste étonne en Europe et ailleurs, en Italie, il n’est que le résultat d’un ras le bol général dans un pays profondément désabusé par la politique traditionnelle et par les mesures imposées par l’Union Européenne. Une exaspération qui s’inscrit, aussi, dans un contexte économique résolument difficile pour l’Italie. Dix ans après la crise bancaire et financière de l’automne 2008, l’économie de La Penisola peine encore à retrouver son élan. Pire encore, certains observateurs se montrent particulièrement inquiets pour la suite. Car si la situation des finances publiques semble relativement confortable avec des prévisions plutôt correctes pour 2018 (le déficit public devrait rester inférieur à 2% du PIB), la situation des entreprises, elle, apparaît comme catastrophique. Les entreprises italiennes ont très peu investi depuis le début des années 2000. À titre de comparaison, le volume de leurs investissements a progressé de seulement 40% au cours des des vingt dernières années, contre 90% pour la France et 150% pour l’Allemagne. Conséquence attendue d’un tel sous-investissement, la productivité n’a cessé de stagner, réduisant irrémédiablement la profitabilité des entreprises. Couplé aux difficultés des banques, ce phénomène n’a fait qu’empirer.
Une déficience qui a inévitablement vu ses conséquences s’élargir bien au delà de la seule dimension économique. Et pour cause, l’Italie et son climat social ravagé par les inégalités et la corruption, a peu à peu vu son niveau de vie diminuer, allant même jusqu’à tendre vers un appauvrissement général du pays, notamment au Sud, plus pauvre et moins prospère que le Nord. Le PIB par habitant a par exemple baissé de 30% par rapport à celui de l’Allemagne et le pouvoir d’achat des ménages a reculé de 12% en dix ans. Les conditions de travail se sont lentement dégradées, de nombreuses coupes budgétaires ont été constatées en particulier dans le secteur de la santé et l’âge de la retraite a reculé. Bref, l’Italie est peu à peu tombée dans l’austérité. Paradoxalement et alors que ces politiques étaient menées dans l’objectif de réduire la dette publique, cette dernière n’a pourtant fait qu’augmenter ces dix dernières années. Un échec cuisant pour l’exécutif italien mais aussi pour l’Union Européenne, principale instigatrice de ces mesures. Une aubaine pour les eurosceptiques et les populistes, qui feront de l’échec européen un argument de taille durant la campagne.
Autre point essentiel et sûrement en partie explicatif de l’ascension des mouvances populistes de l’autre côté des Alpes : l’effervescence récence de la crise migratoire en Méditerranée. Car si toute l’Europe semble concernée par l’afflux continuel de nouveaux arrivants sur ses côtes, c’est bien l’Italie qui en est la plus touchée. Avant poste géographique de l’immigration vers l’Europe de par sa proximité avec les côtes nord-africaines, la Péninsule aurait accueilli plus d’un million de migrants en un peu moins de 20 ans. Un chiffre record qui prend un autre sens quand on sait que sur ce million de nouveaux arrivants, plus des trois quarts ne sont arrivés que tout récemment. À une période, comme évoqué plus haut, déjà bien peu évidente pour la société italienne. Mais si l’arrivée en masse de nouveaux arrivants sur les côtes italiennes couplé à un climat social et économique plus que défavorable peut constituer l’une des raisons à la récente montée du populisme, elle est bien loin d’être la seule. Et pour cause, côté transalpin, on se sent aussi abandonné par l’Europe face à cette nouvelle crise. Un manque de solidarité qui ne va contribuer qu’à entretenir la flamme de l’euroscepticisme en Italie. Et redonner, inexorablement, une nouvelle dynamique aux idées identitaires et populistes.
Mouvement 5 étoiles et Ligue : Les opposés s’attirent
L’Italie est un laboratoire politique. Elle nous l’a montré tout le long de son histoire et l’a encore prouvé tout récemment en matérialisant une alliance pour le moins loufoque entre deux partis, pourtant bien loin d’être sur la même longueur d’ondes. En associant ces deux ovnis politiques au sein d’un même gouvernement, l’Italie innove à nouveau. Mais est-ce seulement envisageable à moyen et long terme ? En France et en Europe, on est sceptiques.
D’abord, on se demande ce qu’ont vraiment à voir ces deux partis. Le Mouvement 5 étoiles n’est pas vraiment un parti. D’ailleurs il ne veut pas se revendiquer comme tel. La raison ? Il se veut profondément anti-système et fonde d’ailleurs la majeure partie de sa ligne politique sur cette idée fondamentale. Encore très jeune puisque fondé en 2009, il était même clairement positionné à gauche, à ses débuts. La Ligue, elle, cultive son opposition. Née dans le Nord du pays à la fin des années 1930, La Lega était à ses débuts tout sauf nationaliste. En cultivant un rejet de l’État italien centralisateur et du Sud, plus pauvre, la Ligue est à l’époque encore bien loin des mythologies du fascisme. Toutefois, elle tournera peu à peu vers les idées conservatrices, s’alliant notamment avec un certain Silvio Berlusconi. Une ligne politique qui va s’infléchir, encore, un peu plus à droite quand Matteo Salvini prendra les rennes du parti, en 2013. Ouvertement anti-immigration et eurosceptique assumée, la Ligue figure aujourd’hui comme l’une des principales forces populistes en Europe. Une arrivée triomphante sur la scène européenne qui lui vaudra par ailleurs quelques illustres soutiens comme Marine Le Pen, en France ou encore Viktor Orbán, en Hongrie.

Deux lignes politiques en tout point opposées, donc. Et pourtant. Si la surprise de leur entente était de taille, elle cache néanmoins un certain nombre de convergences politiques qui ont pu, à terme, rendre cette improbable alliance possible. D’abord, on retrouve chez les deux familles politiques un refus commun des réformes néo-libérales mises en place par les exécutifs précédents. Autre point commun, l’immigration. Contrairement aux apparences, le Mouvement 5 étoiles s’est assez vite prononcé en faveur d’une régulation des flux migratoires, remettant notamment en cause l’appareil législatif autour du droit du sol. Une position évidemment ralliée par la Ligue. Mais là où les deux se rejoignent, c’est aussi et surtout sur la question de l’Europe. Les deux mouvances politiques portant toutes deux une certaine critique vis à vis de l’idée européenne. Souverainistes à souhait, ils prônent une réforme en profondeur de l’UE ainsi qu’une renégociation de plusieurs traités européens comme le Règlement Dublin III, par exemple, qui statue de la responsabilité des états européens vis à vis des demandeurs d’asile...
Une alliance politique inédite qui pourtant, n’a pas perdu de temps. À peine arrivée au pouvoir, la nouvelle coalition a déjà laissé entendre les grandes lignes d’un programme pour le changement. Porté sur une démagogie poussée à l’extrême et sur une alchimie exclusive entre les idées fondatrices des deux familles politiques désormais au pouvoir, le nouveau programme pour l’Italie suscite déjà les curiosités. En voici les grandes lignes :
Un nouveau système pour la calcul de l'âge de la retraite
Le nouveau gouvernement prévoit l’introduction d’un système de points pour calculer l’âge de la retraite en fonction des années de cotisation.
La création d’unrevenu de citoyenneté
Les personnes dont le revenu ne dépasse pas les 9360 euros par an se verront attribuer un revenu supplémentaire à hauteur de 780 euros par mois.
Le renvoi massif d’immigrés illégaux
Le texte prévoit d’expulser 500 000 migrants illégaux du territoire italien en un an. En ce sens plusieurs accords bi-nationaux devront être signés avec les territoires concernés.
Le durcissement de la sécurité intérieure
Le texte prévoit une augmentation des moyens alloués à la police et à son équipement (taser, caméras, gilets pare-balles...).
Un florilège de nouvelles mesures qui laisse entrevoir le chemin emprunté par la nouvelle coalition italienne, plus que jamais centrée sur elle même. Un positionnement qui laisse bon nombre d’observateurs perplexes. Car s’il inquiète par sa dimension auto-centrée, le programme présenté par le Mouvement 5 étoiles et la Ligue implique aussi un coût considérable. Les derniers échos avanceraient le chiffre faramineux de 100 milliards d’euros. Un montant considérable qui pourrait faire exploser la dette italienne, qui avoisinerait aujourd’hui les 2300 milliards d’euros. Un pari plus que risqué, donc.
L’Europe a-t-elle raison de trembler ?
Le populisme est arrivé en Italie. Sous l’impulsion de Matteo Salvini et de sa famille politique, La Lega, le paysage politique transalpin a radicalement changé de visage. Et l’Europe s’en inquiète. Consciente des fantômes du populisme qui rôdent à travers le vieux continent depuis plusieurs années déjà, elle prend la mesure des conséquences potentielles du basculement de l’Italie, troisième puissance économique de la zone euro, vers ces idées nouvelles. L’Italie est un pilier de l’UE. Elle n’est pas la Grèce. À elle seule, elle pourrait faire basculer l’Europe, déjà bien affaiblie par le Brexit, effectif sous peu.
Florilège des menaces que fait peser l’Italie sur l’Europe :
L’immigration
Exposée plus que tout autres aux vagues migratoires, l’Italie lève le voile sur les inégalités géographiques face à la crise migratoire. Sans s’en rendre compte, elle remet en cause les fondements des normes européennes sur les questions migratoires, formalisées par les Accords de Dublin, et fait vaciller la légitimité d’un système à bout de souffle.
L'hostilité face à l'interférence supranationale
Engluée dans une crise économique et sociale sans précédent, l’Italie fait savoir son exaspération face aux politiques d’austérité dictées par Bruxelles. De la même manière que d’autres membres comme le Royaume-Uni (ex) et la Grèce, elle montre du doigt un système qu’elle considère comme oppressif et peu efficace.
Une ligne économique qui pose question
Le nouveau programme présenté par le gouvernement Conte coûterait à l’Italie un total de 100 milliards d’euros. Une somme considérable qui comme évoqué plus haut pourrait faire exploser la dette transalpine et faire chavirer, une fois de plus, le pays dans la crise. Si l’Italie venait à subir le même sort que la Grèce, alors ce serait toute l’Europe qui en serait bouleversée. Troisième puissance économique de la zone euro, elle joue un rôle fondamental dans son équilibre.
Une combinaison qui laisse entrevoir les conséquences potentielles qui devraient découler des premières politiques mises en place par le tout récent gouvernement italien.
Toutefois, ces informations sont à prendre avec des pincettes. Parce qu’en dépit des nombreux signaux d’alarme venant de la Péninsule ces derniers mois, l’Italie semble encore bien loin de faire chavirer l’Europe. Et si au départ, la possibilité d’un “Italoxit” semblait envisagée côté transalpin, il semble que ce ne soit plus vraiment d’actualité. Les fantasmes europhobes, directement issus des mouvances populistes semblent s’être calmés de l’autre côté des Alpes.
Toujours est-il que l’Italie fascine. De tous temps, elle aura su déchainer les passions autour de son évolution. Aujourd’hui enlisée dans un populisme décidément tenace, elle change, se transforme et pose les bases et les enjeux de l’Europe nouvelle. La coalition populiste est encore bien jeune. Elle fait ses choix et il est encore trop tôt pour poser un jugement. L’avenir seul désormais pourra nous dire si les transalpins auront eu raison, ou non, de placer leur espoirs dans les mains de cette improbable coalition.
Crédits photos :
Photo de couverture : L'Express
Première photo : AFP
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