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DÉCODER #1 - Les lobbies, une limite à nos démocraties ?

  • Photo du rédacteur: INFO MONDE
    INFO MONDE
  • 6 avr. 2018
  • 10 min de lecture

Dernière mise à jour : 25 mai 2018



Dans nos sociétés modernes et plus largement dans nos démocraties occidentales, le pouvoir est vu comme appartenant aux citoyens qui de par leur vote, le délivrent aux élus. On admet sans sourciller que la frontière entre sphère publique et privée est bien réelle. Mais est-ce vraiment le cas ? Depuis de nombreuses années, un grand nombre de groupes d’influence, de représentants d’intérêts privés : en bref de lobbies, pullulent au sein des hautes sphères de décision. Leur présence au sommet des sphères du pouvoir commence à poser question. Quel est leur rôle ? Comment fonctionnent-ils ? Et surtout, en quoi pourraient-ils constituer une limite à nos démocraties ? On décode.


De quoi parle-t-on ?


Pour comprendre ce qu’est un lobby il est intéressant de commencer par réfléchir à l’étymologie du terme. En anglais, le terme lobby signifie “couloir”. Une origine littérale qui prend tout son sens quand on s’intéresse à sa place dans l’histoire. Dans l’Angleterre du XIXème siècle, le lobby incarnait purement et simplement les couloirs près de la Chambre des Communes où les groupes de pression venaient discuter avec les membres du Parlement. Une pratique qui n’a cessé de se développer au cours de l’histoire pour finir par devenir monnaie courante dans la plupart des grandes sphères de décisions. Mais même après avoir dit ça, que savons-nous vraiment de ces groupes d’influence ? À vrai dire pas grand chose. Il est donc nécessaire d’apporter une définition poussée.


Les groupes d’influence sont généralement définis comme une entité dont l’objectif est d’influencer les décisions politiques et plus largement les pouvoirs publics afin de servir des intérêts privés. Intérêts qui très souvent sont de nature purement économique. De nombreux exemples peuvent être mis en avant pour avancer cette idée, nous y reviendrons. Dans le langage courant, utiliser le terme lobby, groupe d’intérêts ou groupe d’influence, revient généralement à la même idée. Pour autant, le lobbying est à dissocier. Il incarne l’action de faire usage de son influence au service d’un intérêt particulier. Aussi, il peut être effectué de manière directe ou indirecte. De nombreuses formes existent pour décrire le lobbying. Le démarchage politique, la coalition d’individus influents ou bien encore la fourniture d’expertises aux sphères publiques sont autant de démarches qui peuvent incarner une forme de lobbying.


Concernant le rôle du lobbying, la nuance est cette fois plus profonde. Pourquoi est-il nécessaire ? Qu’apporte-t-il à nos sociétés ? Qu’est-ce qui justifie son existence ? Au premier regard, on pourrait penser que les outils démocratiques, comme les partis politiques, déjà en notre possession devraient suffire à l’exercice de décision. Toutefois, la réalité est bien plus complexe. Aujourd’hui s’il y a en effet une chose qui pourrait faire obstacle à l’exercice de décision, qu’elle soit publique ou privée, c’est la représentativité. Car oui, mettre dans les mains de millions de votants plus ou moins informés, une décision publique ou même privée est vu d’un mauvais oeil par beaucoup de décideurs. C’est là que le lobby entre en scène. En fournissant toutes les expertises et toutes les informations nécessaires à la prise de décision, le lobbyiste va sensibiliser les hommes politiques, parlementaires ou cabinets ministériels aux conséquences de leurs décisions. De fait, le lobbying apparaît comme un véritable travail d’éclairage de la décision publique ou privée.


À l’heure actuelle, le lobbying n’est plus seulement européen ou occidental, il est mondial. Avoir recours à des lobbies est monnaie courante et ce partout dans le monde. Mais aujourd’hui, on distingue deux places fortes du lobby dans le monde : Washington et Bruxelles. À l’heure où est rédigé ce dossier, on compterait près de 45 000 lobbyistes à Washington et plus de 20 000 lobbyistes à Bruxelles. Un positionnement qui n’est pas le fruit du hasard. Washington et Bruxelles se distinguant des autres places fortes de par leurs institutions, sur lesquelles les lobbyistes peuvent agir en permanence. Institutions comme la Commission Européenne à Bruxelles ou le Capitole à Washington, connues pour centraliser les décisions pour les deux puissances que sont les États-Unis et l’Union Européenne.


Pourquoi on en parle ?


Aujourd’hui la question du lobby et en particulier du rôle qu’il peut avoir dans les prises de décision est au centre de nombreux débats. Malgré ce qui a pu être dit plus haut, le lobbying peut donner lieu à de nombreuses dérives. Si son rôle ne se limite pas strictement à la défense d’intérêts ou à la fourniture d’expertises aux décisionnaires, alors le lobbying devient dangereux. De fait, comme expliqué tout au long de ce dossier, le lobbying, c’est avant tout une histoire d’influence. Influence qui, dans le système socio-économique actuel, se gagne surtout par les contacts, le capital, en bref : le pouvoir. Dans le secteur privé, principal fournisseur de lobbyistes, ceux qui détiennent le pouvoir ne sont ni plus ni moins que les grands groupes. On a un pouvoir économique, acquis par les géants du secteur privé, qui semble exercer une influence grandissante sur le pouvoir politique. Un aspect qui remet en question la légitimité des groupes d’influence et peut expliquer la mauvaise image que véhicule le lobbying dans l’imaginaire collectif.


Les groupes d’influence sont réputés pour avoir mauvaise presse, ce n’est pas une nouveauté. Mais comment expliquer un tel statut ? Les nombreux scandales des dernières années impliquant des activités de lobbying peuvent apporter des éléments de réponse. Une multitude de scandales peut être mise en avant pour exposer les dérives de ces pratiques. Seulement, certains sont plus marquants que d’autres. C’est le cas des pratiques de lobbying qui sont établies comme servant des intérêts privés qui vont à l’encontre de l’intérêt général. Ceux-là même qui ont le plus fait parler d’eux dans la presse. À partir de là, plusieurs noms peuvent être dévoilés. Volkswagen, Monsanto ou encore l’ANIA. Ces noms doivent vous dire quelque chose. Ils ont tous fait parler d’eux dernièrement dans l’actualité. Les raisons de cette soudaine arrivée sous les feux des projecteurs ? Ils sont tous à leur manière impliqués dans des scandales d’influence. Zoom sur leurs pratiques.


Courant 2015, Volkswagen est épinglé pour une affaire de réduction frauduleuse des émissions polluantes de ses véhicules pendant leurs tests d’homologation. C’est le début de ce qu’on appellera plus tard le #Dieselgate. Une affaire qui ne se limite pas à une simple histoire de tricherie puisqu’elle illustre également la manière dont le constructeur automobile a pu contourner les lois et les réglementations en vigueur. Selon de nombreux rapports, les autorités nationales et européennes étaient au courant des pratiques de Volkswagen. Pire encore, les projets de nouvelles normes de pollution ont sans cesse été repoussés par les autorités compétentes. Une information qui incrimine les pouvoirs publics et pose une vraie question : ont-ils été influencés ? Selon les dernières conclusions de la commission d’enquête, il ne fait aucun doute. On est sur un bon exemple des dérives qui peuvent découler des pratiques de lobbying. Parce qu’au-delà de poser question d’un point de vue purement éthique, elles vont à l’encontre de l’intérêt général et de la santé publique.


Depuis de nombreuses années déjà, le Roundup, produit phare de l’entreprise de biotechnologie agricole Monsanto, est au coeur de nombreuses polémiques. L’herbicide serait accusé par de nombreux utilisateurs d’être cancérogène. Une information réfutée en bloc par l’entreprise américaine qui s’emploie depuis à prouver le contraire. Et c’est bien là que commence le scandale. Plus de 75 documents relatant des échanges internes de l’entreprise ont été rendus public le 1er Août 2017. Des documents qui révèlent de nombreuses tentatives d’influencer la communauté scientifique. Une manoeuvre qui devait servir à fabriquer des preuves de l’aspect inoffensif du Roundup. Des révélations d’une gravité sans précédent puisqu’elles établissent des stratégies d’influences, qui une nouvelle fois, vont à l’encontre de l’intérêt général.


À lire ausi : https://infomondemedia.wixsite.com/infomonde/articles/glyphosate-une-autorisation-qui-fait-polemique


Marisol Touraine, Ministre de la Santé sous François Hollande, propose courant 2016 la mise en place d’un nouvel étiquetage nutritionnel pour les produits alimentaires. Ce nouvel étiquetage constituerait une alternative au tableau nutritionnel qui se trouve généralement sur l’emballage des produits alimentaires. Toujours selon la Ministre, ce tableau n’est pas assez clair et ne permettrait pas au consommateur de bien saisir la composition des produits dont il fait l’achat. Aussi, l’étiquetage en question proposant un système de gommettes de couleur allant de la couleur verte (bon pour la santé) à la couleur rouge (mauvais pour la santé) pourrait permettre de mieux comprendre les qualités nutritionnelles des produits alimentaires. Une nouvelle qui a particulièrement déplu à l’ANIA (Association Nationale de l’Industrie Alimentaire). Pour cause, la mise en place d’un tel projet désavantagerait sérieusement les produits aux qualités nutritionnelles limitées (gras, sucrés, avec un taux d’additif élevé...). Produits qui, pour la plupart, proviennent de l’industrie agroalimentaire. L’ANIA ne tardera pas à réagir au projet de loi en proposant de nombreuses alternatives qui leurs seraient plus favorables. Outre ces propositions, c’est surtout avec un lobbying soutenu auprès de certains parlementaires que l’ANIA va s’illustrer. Ci-dessous, un échange entre Michel Raison, Sénateur Républicain de la Haute-Saône et une journaliste sur la question :



Marisol Touraine finira cependant par faire appliquer le nouveau système d’étiquetage nutritionnel. Seule nuance, ce nouveau système d’étiquetage est facultatif. De fait, les industriels peuvent tout à fait conserver l’ancien système. Un revirement de situation qui pose question et qui laisse entendre que le Ministère de la Santé a pu être mis sous pression.


Les lobbies, une limite à nos démocraties ?


Les affaires qui ont été énumérées plus haut peuvent permettre de tirer les premières conclusions. On se rend aisément compte de l’influence que peuvent exercer les groupes de pression sur les décideurs. Aussi, une fois que cela a été dit, une question se pose. Sommes-nous vraiment en démocratie ? Quand on voit comment certains poids lourds du secteur privé parviennent à influencer voire modifier les lois, on est en droit de se poser la question. On a pu le voir tout au long de ce dossier, le lobbying peut être positif. Quand son rôle se limite à apporter une expertise et un regard extérieur au décisionnaire, alors il est utile à la démocratie. Là où apparaît la nuance c’est quand, justement, le lobbyiste dépasse son rôle. Alors il ne sert plus seulement d’intermédiaire entre le secteur privé et le secteur public. S’il sert un intérêt qui va à l’encontre de l’intérêt général, à l’encontre de la démocratie, alors sa position devient dangereuse. Outre cet aspect inégal et à première vue peu éthique, là ou le lobbying pose problème, c’est quand son action ne se résume plus seulement à de la communication.


On l’a vu dans les trois exemples développés précédemment : tout est une histoire d’influence. Là où cela devient néfaste c’est quand le lobbying se transforme en trafic d’influence, quand il commence à violer les lois et aller à l’encontre des idées de l’État. La rémunération de scientifiques pour fournir des rapports mensongers, l’utilisation d’instruments de sondages truqués ou bien encore des campagnes menées de façons malhonnêtes sont autant de pratiques qui relèvent de la corruption politique. Des pratiques qui reflètent, d’une certaine manière, une limite à nos démocraties. De nombreux observateurs estiment aujourd’hui que certains magnats du monde des affaires, du secteur privé, entretiennent une influence excessive sur les décideurs. On a le sentiment que les producteurs sont davantage représentés que les consommateurs dans les sphères de décision. Beaucoup pensent que les intérêts économiques étroits sont davantage représentés que les causes politiques ou morales générales. Une conclusion qui peut laisser apparaître une distorsion subtile du processus démocratique. Le pouvoir, kratos, n’appartient plus au peuple, démos. La place aujourd’hui prépondérante du secteur privé et l’éclipsement continuel du peuple dans les prises de décisions donne un sentiment de déni de démocratie.


Au constat de telles dérives et abus du pouvoir que peut procurer l’influence, nous pouvons clairement nous demander si les lobbies ne s’apparentent pas, finalement, à une réelle limite à nos démocraties. Les faits énoncés plus haut nous portent à croire que les décideurs politiques apparaissent, dans certains cas, comme des proies des grands groupes utilisant leur influence pour parvenir à leurs fins. Ne prenant nullement en compte l’intérêt général. Aussi et bien que ces scandales restent minoritaires au regard de l’ensemble des pratiques de lobbying, des mesures doivent être prises.


L’institutionnalisation : la solution aux dérives du lobbying ?


Le constat alarmant énoncé dans la partie qui précède pose une nouvelle question : que faire pour solutionner les dérives du lobbying ? Malgré les nombreux aspects positifs de ces pratiques, il apparaît néanmoins aujourd’hui qu’une réforme du statut est nécessaire. Les dérives énoncées plus haut et le manque de transparence persistent dans les milieux de la représentation d’intérêts. Le lobbying doit être mieux reconnu et mieux encadré. La solution de l’institutionnalisation de la profession de lobbyiste apparaît comme la mieux adaptée.


C’est tout l’objet de la loi du 9 Décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique : la loi Sapin II. Une loi qui marque une toute nouvelle étape pour la transparence des relations entre les représentants d’intérêts et les pouvoirs publics. Emmenée par Michel Sapin, Ministre de l’Économie et des Finances de l’époque, elle prévoit la création d’un registre numérique des représentants d’intérêts. Ce registre serait tenu par une autorité administrative indépendante : la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP). Un répertoire qui sera rendu public et qui pourrait permettre une meilleure transparence des relations entre les représentants d’intérêts et les pouvoirs publics. Tout représentant aura désormais l’obligation de déclarer : son identité, l’organisme pour qui il travaille, les intérêts représentés, les actions effectuées et les dépenses qui y sont liées, les organisations professionnelles/syndicales auxquelles ils appartiennent.


Au-delà de ces prérogatives administratives, un bon nombre d’obligations vont désormais être imposées aux lobbyistes. C’est tout le sens du décret qui va être ajouté à la loi Sapin II. Un décret qui aura pour objectif d’instaurer un véritable code des règles déontologiques relatives aux représentations d’intérêts. Un code de déontologie du lobbyiste qui ne semble pas insensé au vu des nombreuses dérives qui peuvent être énumérées quand on s’intéresse de près à la représentation d’intérêts en général. Ainsi, afin d’être autorisés à exercer leur activité, les lobbyistes seront tenus de respecter un certain nombre d’obligations. En voici les principales : ne pas remettre des dons ou avantages quelconques aux responsables d’une décision publique, ne pas inciter les décisionnaires à enfreindre les règles déontologiques qui leur sont applicables, ne pas démarcher auprès des décisionnaires en vue d’obtenir des décisions par des moyens frauduleux.


Un ensemble de codes et de règles qui permettent d’entrevoir un semblant d’institutionnalisation du lobbying en France. Impossible à l’heure actuelle de dire si cet ensemble de codes et de règles suffira à empêcher et proscrire les dérives qui découlent des pratiques liées à la représentation d’intérêts.


En revanche, et à l’heure où se clôture ce dossier, des précisions doivent être apportées. Le lobbying est une pratique génératrice de dérives, il ne fait aucun doute. Les exemples et les arguments développés ici ne vous feront très probablement pas penser le contraire. Toutefois, une nuance se doit d’être apportée. Comme cela a pu être abordé plus haut, les pratiques de lobbying sont généralement positives. Malgré les exceptions qui ont pu être énumérées tout au long de ce dossier, le lobbying est avant tout un service rendu aux décideurs. À leur manière, ils servent aujourd’hui la sphère publique et aident à la décision politique. Une vision trop manichéenne du terme peut être dangereuse. Les observateurs doivent se méfier des avis tranchés qui ne pourraient donner lieu qu’à l’amalgame, la caricature ou au sensationnalisme. Conserver un esprit critique et une pensée objective apparaît comme primordial. En particulier pour ce genre de sujets.

Crédits photo :
Photo de couverture : Les Echos
Première vidéo : Cash Investigation - France 2

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