Immersion #1 : Cinq semaines au coeur de l'intégration des réfugiés en Allemagne
- INFO MONDE
- 9 juil. 2018
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L’Allemagne a accueilli plus de réfugiés et demandeurs d’asiles que tous les autres membres de l’Union Européenne réunis. Ceci est le constat de l’agence en charge des réfugiés à l’ONU (HCR). Néanmoins aujourd’hui avec l’arrivée de l’AFD au parlement, la colère d’une grande partie du peuple allemand se fait désormais entendre en haut lieu. Une question subsiste, que deviennent ces réfugiés, et comment régler un tel déséquilibre au niveau de l’accueil entre l’Allemagne et ses voisins ?
Les allemands se souviennent encore de l’afflux impressionnant qu’a connu le pays en 2015. Dans la précipitation, gymnases, écoles et autres hébergements furent réquisitionnés en vitesse. Des centres d’accueil en container furent rapidement installés, les réfugiés accompagnés et répartis à travers le pays. Au cours des 5 dernières semaines, j’ai eu l’occasion de quotidiennement côtoyer quelques-uns de ces jeunes réfugiés et migrants. Tous sont arrivés au cours des trois dernière années. Ils sont scolarisés ensembles au lycée professionnel de Neu-Ulm en Bavière. Ils ont entre 16 et 28 ans, viennent d’Erythrée, Somalie, Ethiopie, Irak, Afghanistan, Syrie et autres. Tous ont des histoires différentes, des origines, cultures et religions différentes. Pourtant c’est désormais ensemble qu’ils apprennent à s’adapter à leur nouvel environnement européen.
En Bavière, la scolarisation est obligatoire jusqu’à 21 ans pour toute personne sans diplôme. Cette règle s’applique aussi pour les jeunes arrivants immigrés, ils ont exactement 3 mois pour intégrer un établissement scolaire. Les élèves sont alors répartis en fonction de leur niveau de langue mais aussi et surtout d’éducation. Beaucoup ne sont jamais allés à l’école et ne savent même pas écrire dans leur propre langue.
Le jeune Hama pour sa part est arrivé il y a maintenant deux ans en Allemagne. Il vient du Niger et parle français mais n’a jamais appris à l’écrire. Il me confie qu’il aurait préféré aller en France, cela aurait été plus simple pour la langue parce que l’allemand c’est vraiment difficile. L’année dernière il a donc appris à lire et à écrire l'Allemand dans une classe d’alphabétisation du lycée. Cette année il a intégré une classe de préparation à l’intégration professionnelle. Ses cours se composent donc de 20h d’allemand, 3h de mathématiques et 2h de sport par semaine. Cette semaine Hama a tenté de passer le test de niveau A2 mais il lui manque encore de l’aisance à l’écrit. Il me confie d’ailleurs qu’il aimerait déjà travailler parce qu’il comprend bien l’allemand à l’oral. Malheureusement il a beaucoup de mal à trouver un stage et se voit mal faire une formation. « Les cours écrits ce serait trop dur pour moi mais je connais déjà le métier et je pourrais apprendre en travaillant ».
Alors que Hama a encore des migraines à causes des déclinaisons allemandes, certains ont déjà intégré des formations professionnelles. Un jeune guinéen arrivé il y a deux ans a réussi à obtenir une formation pour devenir soudeur. Il lui reste encore sa demande d'asile à refaire. En attendant son autorisation de séjour est renouvelée tous les 6 mois. D’autres, originaires d'Afghanistan et de Gambie, ont intégrés une formation en logistique industrielle mais disposent uniquement d’un statut intermédiaire et peuvent être renvoyés à tout moment. Bien que leur niveau d’allemand soit tout à fait satisfaisant, l’école leurs fournit encore des cours de soutien. Ils peuvent y poser les questions qu’ils souhaitent mais aussi parler de leurs appréhensions et difficultés de la vie quotidienne.
Aujourd’hui leurs questions portaient sur les régimes d’impositions allemands. Au-delà du simple apprentissage de la langue, c’est bien plus qu’ils doivent apprendre, le système de formation professionnelle ou encore d’imposition. La culture allemande parfois aussi leur semble bien étrange. Les professeurs sont d’ailleurs souvent sceptiques quant à la capacité et à la volonté de s'intégrer de certains élèves. Beaucoup sont quotidiennement en retard en classe et ou s’absentent régulièrement pour diverses raisons. Seuls les élèves capables d’intégrer ces codes arrivent à trouver des stages ou formations. Les entreprises elles-aussi sont sceptiques suite à des expériences négatives avec certains stagiaires immigrés manquant d’assiduité. Cela rend la tâche d’autant plus difficile pour les jeunes motivés et assidus à la recherche de formations où de stages en entreprise.
Ce ressenti est malheureusement palpable dans les débats actuels concernant les élections d’octobre prochain en Bavière. Dans les faits, les chiffres montrent que l’arrivée de ces immigrés a un effet positif sur l’économie allemande. L’institut privé en économie « Institut der Deutschen Wirtschaft » établit d’ailleurs le rapport suivant : en 2016, le PIB allemand a profité d’une augmentation de 0,4% dû à l’afflux de migrants. D’ici 2020, cette augmentation devrait augmenter d’un pourcent par an. Cependant, le taux de chômage a tendance à augmenter dans les premières années suivant un tel afflux de migrants. Cette augmentation s’ajoute à une baisse du revenu par habitant le temps que les migrants obtiennent un emploi.
Les expériences du passé montrent que 3 ans ne permettent pas de juger du niveau d’intégration que ces jeunes pourront atteindre. Les “Russes allemands” qui sont venus dans le pays à la suite de la chute de l’union soviétique se sont rapidement intégrés à la société allemande, tandis que les turcs ne se sont intégrés qu'à un niveau professionnel. L’essentiel dans l’immédiat est d’intégrer ces jeunes au marché du travail allemand afin que la période d’augmentation du chômage soit la plus courte possible.
À ses risques et périls, Angela Merkel avait déclaré il y a 3 ans : « Wir schaffen das ! » (Nous y arriverons). Aujourd’hui le résultat est le suivant : l’AFD siège au parlement, l’Allemagne semble donc avoir atteint ses limites, c’est en tout cas ce que les allemands laissent présager. La chancelière se voit forcée de céder sous les demandes de la droite de sa coalition et la menace de l’extrême droite. Jusqu’à présent, l’Allemagne était plutôt flexible sur l’application du traité de Dublin. Désormais, les migrants ayant déjà été répertoriés dans un autre pays membre de l’UE seront renvoyés dans le pays en question. La diminution du nombre d’arrivants permettra-t-elle de mieux se concentrer sur l’intégration des quelques 1,7 millions demandeurs d'asile déjà sur place ? Toutefois, mon expérience m’a permis de faire le constat suivant : l'intégration est un challenge. Son succès repose sur le maintien des efforts actuels. Une chose est sûre, Angela Merkel et son gouvernement espèrent que tout ceci pourra permettre d’apaiser les tensions qui ne cessent d’augmenter en Allemagne.
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Photo de couverture : https://www.schlau-schule.de/
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