Deux ans après, que reste-t-il du Brexit ?
- INFO MONDE
- 23 juil. 2018
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 18 nov. 2019

Le Royaume-Uni voulait son Brexit, il l’a eu. Après des années de campagne et de négociations, les britanniques ont enfin, par la voie du vote, obtenu leur départ de l’Union. Pourtant, et à l’heure des premières conclusions, plusieurs incertitudes demeurent. Car si le Royaume-Uni semble résolu à quitter l’Europe, la façon dont il entend le faire suscite encore le débat Outre-Manche. Et pour cause, à Londres on s’interroge encore sur la ligne à suivre. Et si certains sont déterminés à entamer une rupture nette avec l’Union Européenne, d’autres semblent davantage favorables à un consensus avec le continent. Un climat d’incompréhensions et de dissensions qui interroge et inquiète au Royaume-Uni, en Europe et ailleurs. Quelle tournure prendra ce Brexit, si attendu et si redouté à la fois ? Les incertitudes mêlées aux conséquences d’un tel départ auront-elles raison de la stabilité politique du pays ? On fait le point.
La voie du départ
Nous sommes le 24 Juin 2016, l’aube se lève sur Londres, il est 4h44 du matin. La Ville Monde se réveille doucement, encore un peu étourdie de la veille. Les plus matinaux déambulent déjà dans les rues de la capitale, le regard vide et apeuré pour certains, plein d’espoir pour d’autres. L’heure tourne. Les premiers résultats du référendum doivent tomber dans la matinée. Les premières rumeurs font leur apparition, l’agitation commence à se faire ressentir dans la brume matinale anglaise. L’heure tourne. Londres est réveillée. Les gens s’entrecroisent, s’agitent, se bousculent. Habituelle matinée pour la capitale. Pourtant, une étrange atmosphère semble flotter dans l’air. Comme un air de tension. Les britanniques se regardent, chuchotent. On devine à la crispation de leurs visages, qu’ils ont compris.
Le Royaume-Uni va quitter l’Union Européenne. La nouvelle est immense. C’est la première fois depuis sa création qu’un état demande explicitement son retrait de l’Union. Un évènement pourtant non sans conséquences. Car si les tabloïds anglais et certains poids lourds de la politique britannique exultent, d’autres tirent un visage bien sombre. À commencer par la City. La rive nord de la Tamise, quartier historique de Londres et deuxième centre financier au monde n’arbore pas son meilleur visage. Secouée de toutes parts, la place financière n’en finit plus d’encaisser les dégringolades. Le FTSE, l’indice boursier des cent entreprises britanniques les mieux cotées, enregistre un plongeon avoisinant les -10%. Un effondrement qui va rapidement dépasser les seules frontières du Royaume. De l’autre côté de la Manche, c’est l’affolement. La plupart des places financières européennes, conscientes des conséquences de la nouvelle sont en panique. Le CAC 40, indice principal de la Bourse de Paris dégringole. Selon les premiers rapports, l’indice parisien aurait enregistré une chute de plus de 8%, c’est considérable. Une tempête financière qui ne va pas tarder à se généraliser pour atteindre les places financières du monde entier. Les uns après les autres, les indices tanguent, vacillent puis basculent. Le ton est donné.
L’heure tourne. La presse s’empare de l’évènement. Côté britannique, on exulte, l’engouement est immense. The Sun, réputé pour son positionnement en faveur du leave, y va de son jeu de mots en donnant à sa une du jour un titre pour le moins évocateur : “See eu later !”. Côté européen, l’accueil est sévère. La presse française et allemande dénonce “une catastrophe historique pour tous les européens” et parle d’un “jour noir”. La matinée s’écoule. La sphère politique s’empare à son tour de l’évènement. Nigel Farage, leader du parti anti-Europe et anti-immigration UKIP, jubile. Il déclare devant les journalistes que “l’UE est en train d’échouer, l’UE est en train de mourir”, manifestement soulagé de quitter le navire. Donald Trump, alors encore candidat à la Primaire du Parti Républicain pour les Élections Présidentielles Américaines ne boude pas son plaisir et qualifie le Brexit de “fantastique”. Marine Le Pen ou encore Nicolas Dupont-Aignan, connus pour leurs positions souverainistes et eurosceptiques se félicitent d’une “victoire historique” :
De l’autre côté, l’engouement est plus mesuré. La classe politique européenne, majoritairement favorable à un maintien du Royaume-Uni dans l’UE est sous le choc. Étourdie et pour le moins apeurée, elle prend la mesure d’un évènement auquel elle n’a jamais vraiment voulu croire. Le temps passe. Les réactions se multiplient. Angela Merkel affiche sa stupeur et met en garde contre “le coup porté à l’UE”. Matteo Renzi, chef du gouvernement italien et François Hollande appellent de consort à “rénover et renforcer l’Europe”. L’Europe est atteinte. David Cameron l’a bien compris. Il est 9h00, l’air grave, le visage livide et fatigué, le Premier Ministre se présente face à la presse. Il ne tardera pas à mettre fin au suspense. Lucky Dave, de son surnom, a perdu son pari. Conscient de son impuissance face à la tempête qui s’annonce, il finira par annoncer sa démission du gouvernement.
Je ne pense pas qu’il soit bénéfique que je sois le capitaine qui dirige notre pays vers sa nouvelle destination.
Le ton est donné. Avec le Royaume-Uni qui s’en va, c’est toute l’Union qui est chamboulée. L’Europe est prévenue, le Brexit est lancé.
Hard Brexit or Soft Brexit : that is the question
Pourtant, et à l’heure où sont écrites ces lignes, l’assurance et la certitude avancées au lendemain du Brexit semblent s’être peu à peu estompées. Les années ont passé, le processus de rupture entre l’Union Européenne et le Royaume-Uni s’est enclenché et les premières incertitudes ont vu le jour. Peu à peu, et au gré des négociations avec l’Union Européenne mais aussi au sein même de la sphère politique britannique, les doutes ont doucement pris le pas sur les espoirs. Car si la décision de quitter l’UE a officiellement été entérinée, par l’activation de l’article 50 du traité sur l’Union Européenne notamment, de nombreuses incertitudes demeurent. Et si la quasi totalité de l’échiquier politique britannique semble résolue à accepter le Brexit comme une réalité, plusieurs dissensions subsistent, en particulier autour de la nature des liens à conserver (ou non) avec l’Union Européenne. En ce sens, deux camps s’opposent : les partisans d’un Hard Brexit et les partisans d’un Soft Brexit.
Les partisans d’un Hard Brexit souhaitent une rupture nette avec l’UE. On retrouve le souhait de ne plus respecter les règles imposées par l’UE ainsi que la volonté de gagner une certaine indépendance en tant que nation. En clair, un Hard Brexit c’est :
Durcissement de la politique migratoire
Le Royaume-Uni regagnerait un contrôle exclusif sur ses frontières impliquant un contrôle accru de l’immigration. Un visa et/ou un permis de travail pourrait être exigé afin de pénétrer sur le sol britannique.
Indépendance dans la négociation des traités internationaux
À l’image des États-Unis ou de la Chine, le Royaume-Uni regagnerait une certaine indépendance dans la négociation des traités internationaux, comme les traités sur le libre-échange par exemple.
Sortie totale du marché unique européen
Le pays ne ferait plus partie du marché unique européen qui, rappelons-le, permet la libre circulation des biens, des services, des personnes et de la monnaie à travers l’UE. Londres n’aurait ainsi pas plus de liens avec l’UE qu’avec n’importe quel autre pays dans le monde.
Réinstallation des droits de douane
En quittant l’Union Européenne, le Royaume-Uni perd son statut de membre ainsi que tous les avantages douaniers qui en résultent.
Plus d'obligation vis-à-vis du droit européen
Fin de la suprématie du droit européen sur le droit britannique. La législation britannique n’aura désormais plus besoin de prendre en compte les lois européennes dans son fonctionnement.
Arrêt de la participation au budget européen
Le Royaume-Uni versait jusqu’alors plusieurs milliards d’euros par an au budget européen. À titre indicatif, le pays a versé 11,3 milliards d’euros au budget de l’UE en 2014, faisant de lui le quatrième plus gros contributeur en Europe. En coupant les liens avec l’Union Européenne, il n’aura plus à le faire.
Du côté des partisans d’un Soft Brexit, on se veut plus mesurés. Beaucoup estiment que l’économie britannique ne peut se passer de l’Union Européenne et qu’un compromis doit être trouvé avec cette dernière pour assurer la pérennité économique du pays. En clair, un Soft Brexit c’est :
Maintien d'une forme de libre circulation des personnes
Le Royaume-Uni serait prêt à conserver un modèle semblable à celui auquel il était soumis en tant que membre de l’Union Européenne. Un aménagement de la réglementation pourrait toutefois être appliqué.
Compromis autour du droit européen
Les lois européennes pourraient s’imposer à la législation britannique. Néanmoins, et à l’image du compromis autour de la libre circulation des personnes, un aménagement spécifique de la réglementation pourrait être appliqué.
Participation potentielle au budget de l'Europe
Le Royaume-Uni n’exclurait pas de participer au budget commun de l’Union Européenne, à l’image de pays non membres comme la Norvège ou la Suisse.
Accès au marché unique
En échange de ces contributions, le Royaume-Uni pourrait se doter d’un accès spécial au marché européen et conserver la plupart des avantages économiques qui en découlent.
Le Brexit : un camouflet politique pour Theresa May ?
L’incertitude plane sur Londres. Le divorce définitif entre le l’UE et le Royaume-Uni approche à grands pas mais ce dernier peine encore à tracer sa feuille de route pour les années à venir. Aujourd’hui encore, on s’écharpent autour du chemin à emprunter. Et pourtant, l’heure tourne. Et si la Première Ministre apparaît comme décidée à emprunter un départ plus soft, c’est loin d’être le cas de la sphère politique britannique, dans son camp comme ailleurs. Et pour cause, la solution proposée par Theresa May, vendue comme un compromis, a du mal à faire son effet. Ironiquement, c’est dans sa propre famille politique, au Parti Conservateur, que les critiques sont les plus virulentes. En outre, on lui reproche de se plier aux exigences de Bruxelles et de renier, in fine, la promesse faite aux électeurs. Un positionnement qui ne tardera pas à semer la zizanie au sein même du gouvernement.
Le 8 Juillet sonne comme le premier coup d’alerte. David Davis, Ministre en charge du Brexit, claque la porte. Conservateur endurci et fervent partisan de l’idée d’un Hard Brexit, il déclarera sobrement “ne plus être en accord avec la politique menée par Theresa May” déplorant notamment un manque évident de “dureté dans les négociations avec Bruxelles”. Un départ qui laisse la Première Ministre dans l’embarras, à moins de 9 mois de la séparation définitive avec l’Union Européenne. Mais c’était sans compter le départ, un jour plus tard, comme un symbole, d’un autre poids lourd du Brexit : Boris Johnson. Secrétaire d’État aux Affaires Étrangères en poste depuis deux ans, il incarnait l’euroscepticisme et le désir d’indépendance propre à cette toute nouvelle société britannique, animée par les folies du Brexit et le rejet des instances supranationales. Il fera part de son amertume dans une lettre directement adressée à Theresa May.
Le rêve du Brexit se meurt. Nous nous dirigeons vers le statut de colonie européenne
Une situation délicate pour Theresa May qui, abandonnée de toutes parts, semble plus que jamais sur la sellette. D’autant plus que si d’autres démissions venaient à avoir lieu, le gouvernement et par la même occasion la Première Ministre, pourraient être tout simplement renversés. Une situation inconfortable pour Theresa May qui doit aussi tenir les négociations avec Bruxelles. La date butoir approchant à grands pas, il n’est plus question de discuter. Un accord doit être trouvé, et au plus vite. Cependant là aussi, les choses ne vont pas dans le sens de la Première Ministre. En dépit de sa prise de position en faveur d’un Brexit plus soft, du côté de Bruxelles, on reste sceptiques. De nombreux points doivent encore être abordés comme la question autour de la frontière entre l’Irlande et l’Irlande du Nord, les accords de sécurité entre l’UE et le Royaume-Uni ou les perspectives autour de l’intégration ou non du pays au marché unique européen.
Michel Barnier, négociateur en chef de la Commission Européenne a notamment récemment évoqué “certaines limites” dans les propositions de Theresa May. Selon lui, plusieurs points ne respectent pas les quatre libertés : de mouvement, de personnes, de services et de capitaux, fondamentales pour espérer rester dans le marché unique. Autre point essentiel : Bruxelles ne cédera rien au Royaume-Uni. Car ce que demande Theresa May, ce n’est ni plus ni moins qu’une “Europe à la carte”, qui permettrait aux nations indépendantes de se soustraire de certaines obligations tout en bénéficiant de tous les avantages que le statut de membre confère. Une éventualité réfutée en bloc du côté européen. Des désaccords plutôt embarrassants qui soulèvent la perspective d’un No Deal, entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne. Une sortie sans accords qui annulerait toute période de transition et placerait le Royaume-Uni hors de l’Europe dès la date du divorce définitif, à savoir le 29 Mars 2019. Une option évidemment non souhaitable qui viendrait bousculer un équilibre déjà vacillant et réduirait encore davantage la marge de manoeuvre du Royaume-Uni dans l’exécution de son Brexit.
Crédits Photos :
Photo de couverture : Libération
Première photo : Les Echos
Deuxième photo : France Info
Troisième photo : The Irish Times
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